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Les tournages par drone; problématiques et retour d’expérience

Problématique et retour d’expérience sur les tournages par drone

Après 3 ans de pilotage de drone, et suite à de nombreuses discussions en pré-production, l’objectif aujourd’hui est de vous proposer mon retour d’expérience ainsi que ma vision, simplifiée, des problématiques d’un tournage de drone. Ce texte s’adresse aux chefs opérateurs, directeurs de productions et réalisateurs qui souhaitent obtenir des prises de vues aériennes.

I. Matériel

  1. DJI Phantom / Mavic

    Ces drones sont très petits, rapides à mettre en place mais ne possèdent pas de très bonne caméra : petit capteur, faible sensibilité, faible débit et codec avec données très compressées, moiré ou "banding", impossible de changer les objectifs, impossible de piloter avec deux opérateurs. Il est parfaitement possible de faire de bonnes images, en particulier avec une lumière suffisante, mais les images vont rarement correspondre aux images prises au sol. En conclusion si le budget vous le permet il est préférable de viser un matériel de meilleure qualité.

  2. DJI Inspire 2

    Ce drone est le plus polyvalent: possibilité de voler en double opérateurs et de changer les objectifs. Son temps de vol est de 22 min en moyenne et sa vitesse maximale est de 100km/h. Sa taille permet le transport dans un sac à dos adapté et il est très rapide à mettre en place (compter 2 min pour être prêt à décoller). 
    2 caméras sont utilisables à ce jour :

    - Caméra X5R
    Capteur en micro 4/3 (MFT), 12.5 diaphs de plage dynamique, objectifs Olympus adaptables, résolution max en 4k, ProRes et Cinema DNG

    - Caméra X7 et objectifs DJI (16, 24, 35, 50)
    Capteur en super35mm, 14 diaphs de plage dynamique, résolution max en 6K, ProRes, ProRes RAW et RAW Cinema DNG, 12 bits, débit jusqu’à 500mb/sec. Objectifs DJI avec monture spécifique pour ce drone: (poids et longueur uniformes sur toutes les focales pour ne pas avoir à recalibrer le stabilisateur, très faible tirage mécanique pour maintenir une petite taille). Les objectifs ouvrent à 2.8 et sont assez neutres ce qui aide pour faire correspondre les images en colorimétrie. (avec en plus un flux de travail facilité avec les codec ProRes).
    Cette caméra est la meilleure sur le marché pour l’inspire 2. Elle permet de se rapprocher de la qualité d’une RED ou ARRI à moindre coût sur un drone polyvalent et facile à mettre en place: c’est donc après ce constat que j’ai décidé d’investir dans ce matériel.
    La qualité d’image est excellente avec une grande latitude en post production et est plutôt apprécié par les chefs opérateurs.

  3. Gros porteur


    Ces drones appelés « gros porteur » permettent d’y installer les mêmes caméras et optiques qu’au sol. On installe les caméras sur un stabilisateur électronique comme au sol avec tous les accessoires nécessaires (retour caméra, follow focus…). C’est à ce jour la seule solution pour avoir des anamorphiques ou de la pellicule sur un drone. Ils permettent également d’embarquer des LEDs pour créer un effet de lumière transporté dans les airs.

    Les avantages : image et flux de travail identique sur tout le film, l'utilisation des mêmes optiques permet de conserver le même type de flare, gros ralenti possible avec l’utilisation de la caméra adéquate, utilisation de très longues focales, possibilité de faire des zooms numériques avec les bonnes optiques, possibilité de monter la caméra sur le haut pour une vision vers le ciel (utile surtout en architecture à l’intérieur d’un bâtiment ou d’une cathédrale par exemple).

    Les inconvénients : faible autonomie (autour de 12 minutes en général), taille imposante (difficile à déplacer et à faire voler dans de petits espaces), long à mettre en place, impossible de voler en pleine ville avec une très grosse configuration (poids supérieur à la limite autorisée par la législation). Les prestations sont plus coûteuses et le prix du drone en l’air peut tourner autour de 100 000 euros et entraîne un gros stress sur le tournage qui peut limiter la créativité pour éviter toute casse (quid du remplacement d’une optique rare endommagée sur un tournage loin de Paris). En comparaison, un Inspire 2 avec caméra X7 en cas de perte ou casse revient autour de 10 000 euros.
    En résumé, il s’agit d’un très bon outil pour une qualité optimale. Chaque outil doit être choisi en fonction de l’utilisation souhaitée. Cependant, la plupart du temps un Inspire 2 / caméra X7 aurait été suffisant en terme d’image (le point primordial ici pour un chef opérateur). Mais aussi plus adapté avec une rapidité de mise en place, une prise de vue moins stressante et la possibilité de faire des mouvements plus complexes. Souvent, c’est suite à une mauvaise expérience avec du vieux matériel peu performant, ou par manque d’informations sur les options possibles qu’un chef opérateur ou une production décide d’opter pour un « gros porteur ».

 

II. Le tournage

  1. Un opérateur VS 2 opérateurs VS 3 opérateur

    Le type de plan voulu par le réalisateur et le chef opérateur détermine la nécessité d’être 1, 2 ou 3 opérateurs. J’ai compilé 2 vidéos montrant les différents mouvements possibles en simple ou double opérateur pour aider à prendre cette décision. Bien entendu il est possible de faire des mouvements plus complexes avec 1 seul opérateur, l’idée est ici de définir avant un tournage les besoins techniques et humains en fonction des plans nécessaires pour le film. 

1 opérateur 2 opérateurs

De manière générale il est largement préférable d’avoir deux opérateurs : l’un contrôle le drone (soit par la caméra FPV sur le drone soit en le gardant en visuel), l’autre gère les mouvements de caméra. Si toutefois le plan est simple et ne requiert qu’une seule personne, le deuxième opérateur peut gérer la sécurité autour du décollage/atterrissage. 
Si cependant le budget ne permet qu'un seul opérateur, il est important d'adapter les mouvements du drone afin de ne pas perdre de temps à réaliser un plan complexe avec un seul opérateur. Ceci permettra de ne pas laisser partir la bonne lumière, de finir avec un plan saccadé ou de faire chuter un drone avec le risque de blesser quelqu'un.

Tout mouvement sur plusieurs axes, avec un changement d’axe au cours du plan, un travelling latéral, arrière ou un passage du drone proche d’obstacles nécessite un 2 ème opérateur. Il faut contrôler l’évolution du drone dans l’espace, le 1 er opérateur s’en charge grâce à sa caméra FPV placé à l’avant du drone.

L’éventualité d’un 3 ème opérateur intervient lorsqu’il est, en plus, nécessaire de gérer le focus. C’est cependant assez rare et est en général pris en charge par l’assistant caméra présent sur le tournage. Bien qu’étant rare il est important d’en parler avant le tournage, il s’agit en général de long plan séquence avec un changement de sujet durant le plan. Par ex : Un homme marche sur un chemin de montagne, le drone le suit de côté, le focus est sur lui avec une longue focale (pour une faible profondeur de champ à grande ouverture), l’homme s’arrête ensuite sur un point de vue, le drone prend de la hauteur et la caméra bouge pour découvrir la vue: il est à ce moment nécessaire d’effectuer un changement de focus. Le reste du temps, le focus est fait avant la prise de vue et l’on essaye ensuite de maintenir la même distance avec le sujet.

2. Le jour J - Déroulé d’un tournage

Tout d'abord il est très important d’identifier le mouvement et le sujet PUIS de faire décoller le drone pour réaliser ce plan. Il vaut mieux réfléchir plan après plan plutôt que de faire décoller le drone et enchaîner plusieurs mouvements dans l'urgence: c’est le meilleur moyen de faire un plan basique et peu intéressant.

“Un plan de drone se réfléchit et se visualise au sol avant la prise de vue.”

Il est aussi déconseillé de changer le mouvement en cours de prise de vue lorsqu'une idée surgit en regardant le retour vidéo. Il est préférable de valider la prise avant de tenter un nouveau mouvement, sinon la prise ne sera pas fluide. Piloter un drone nécessite d’être fluide dans ses mouvements, cela requiert un certain doigté sur les joysticks, même à haute vitesse, les accélérations et changement d’axe doivent être faits de manière sensible et contrôlée sous peine de ruiner le plan.

Il est compliqué d’être coordonné entre le sujet à filmer (voiture, comédiens…) et le drone : l’utilisation des talkies est quasi obligatoire et un 2 eme ou 3 eme opérateur est toujours le bienvenue pour ce point. Une discussion claire doit avoir lieu, pour savoir où doit se situer le drone au début et à la fin du plan ainsi que l’orientation de la caméra. Une feuille et un stylo ou des figurines pour représenter les sujets et le drone reste le meilleur moyen de définir le découpage à l’avance. Une fois la coordination avec le sujet effectuée il faut maintenant garder le drone à distance suffisante de tout obstacle pour éviter une chute, tout en maintenant un mouvement fluide du drone et de la caméra (d’où l’intérêt de déléguer le mouvement de la caméra à un 2 eme opérateur).

Un retour caméra est installé pour le chef opérateur et réalisateur, ce qui a pour avantage de libérer l’espace autour des opérateurs du drone. Par expérience; si 3 personnes s’agglutinent derrière l’épaule du pilote pour voir l’écran, ils vont en général toucher ses bras ce qui influencera le mouvement du drone. De même, il est important pour les opérateurs d’avoir un champ visuel libre pour contrôler la machine.

3. Revisiter les prises de vues aériennes possibles

De nombreux mouvement sont possibles et la créativité du chef opérateur et la dextérité du pilote sont ici les seules limites.
J’ai pour ma part une préférence pour les vols à faible hauteur (3 – 10 m de haut) couplés à une longue focale et des mouvements simples. On peut ainsi s’approcher des mouvements de grue, de long travelling ou de tyrolienne tout en simplifiant la mise en place de tels plans. Un plan de drone n’est pas nécessairement un plan large à haute altitude pour un « establishing shot ».

De la même manière qu’au sol, il est nécessaire de discuter du rythme des plans. Le plan peut servir pendant 1 à 2 secondes en transition entre deux plans ou bien durer dans le temps pour un effet voulu par la réalisation. Le pilotage sera impacté par cette décision, donc, si le découpage et montage sont déjà définies il est important de penser les mouvements du drone en conséquence. Etre informé à l’avance du rythme du plan évite par la suite de voir au montage des "speed ramping" où le plan est accéléré au milieu puisqu’il durait initialement trop longtemps. Un maniement plus rapide sur le terrain permet d’avoir des plans séquences utilisables sans couper au milieu du plan.
Le rendu et les possibilités sont à penser comme un mouvement au sol avec un stabilisateur électronique et non à un mouvement à main levé d’un opérateur les pieds dans le vide depuis un hélicoptère. Les changements très rapides d’axe avec la caméra font assez électroniques et non organiques.

Passer très proche d’un obstacle ou entre des branches n’apporte rarement au film et est plus souvent une démonstration de la dextérité du droniste. Tout comme une belle cinématographie doit supporter la mise en scène, votre mouvement de drone ne devrait pas éloigner l’attention de l’audience sur le point fondamental: l’histoire. A moins évidemment que le mouvement extrême ait un sens dans le film.
Par contre, jouer avec des éléments en premier plan avec une longue focale pour découvrir le sujet en second plan est à préconiser pour un plan dynamique. Avec un drone il est possible de filmer des textures, des plans abstraits ou faire des transitions rapides.

copyright: Thibault Grevet

copyright: Thibault Grevet


III. Limites d'un tournage avec drone

Certains points négatifs sont à noter tout de même dans les prises de vues aériennes.
La météo est le premier frein: en cas de pluie soutenue ou de vent fort (supérieur à 60 km/h) il est déconseillé de décoller. Un vent moyen rendra possible le décollage mais la précision des mouvements sera impactés et les plans proche du sujet à longue focale risquent de ne pas être bien stables.

L’autonomie, bien qu’en constante amélioration, entrave les tournages et il n’est pas rare pour la réalisation d’un même plan de devoir reposer le drone pour changer les batteries si les premières prises ne sont pas concluantes (compter autour de 2-3 min d’attente).
Malheureusement les chutes arrivent, rarement maintenant à cause d’une défaillance matériel, mais plus souvent suite à une collision avec un obstacle. Même une branche à 1m50 du sol peut déstabiliser le drone et casser tout le matériel. Si un back-up n’est pas prévu, alors votre tournage aérien est annulé pour la journée (expérience personnelle, soyez méfiant de la moindre plante…)
Précision du système : Il n’est toujours pas possible d’être aussi précis qu’une tyrolienne ou grue (à 30cm près) et en forêt dense ou proche d’obstacle il est plus risqué de faire évoluer un drone, qui reste libre dans les courants d’air et ne possède pas les barrières et points d’arrêts de tels systèmes.

Avec les limitations de la loi il n’est pas possible de s’en servir comme un hélicoptère à très haute hauteur et sur une grande distance. On ne peut s’en servir comme un Yann Arthus Bertrand qui naviguerait au-dessus du sol à la recherche de forme et sujets pour faire ensuite de longs plans à très longue focale.

Avec ces équipements il subsiste toujours une incertitude quant au fonctionnement, ce qui cause toujours une bonne dose de stress chaque matin d’un tournage. La fiabilité n’est pas encore parfaite ; un firmware qui n’a pas été mis à jour et qui ne correspond pas à celui de la radiocommande, une NoFlyZone mal débloquée, une nouvelle NoFlyZone qui apparaît subitement, des batteries couplées qui n’ont pas le même voltage, un train d’atterrissage qui reste bloqué et nécessite un tournevis… et le tournage sera retardé. Il est important de tester rapidement le matériel dès l'arrivée sur le lieu de tournage.

IV. Legislation

Le vol en drone est très réglementé en France. Dès qu’il quitte le sol, le drone entre dans une autre juridiction. Le vol est régie par les gestionnaires d’espaces aériens: même si le lieu est privé, même si la police est présente sur le tournage (ils ne sont pas habilités à gérer l’espace aérien), même si le client est une institution publique, même si le drone n'est qu'à 10m de haut il est nécessaire d’être en règle et en contact avec la DGAC pour chacun des vols. Pour l'anecdote: il est parfaitement légal de voler en hélicoptère chargé de kérosène au-dessus d’une foule mais pas question de le faire en drone. La législation est assez lente à évoluer et repose sur les anciens drones très peu fiables, il est rare maintenant d’observer la chute brutale d’un drone sans obstacle.

Sans rentrer trop dans les détails, quelques principes simples de sécurité sont à rappeler (pour les motivés, le site du gouvernement regorge de textes de lois) : 

  • Hauteur maximale : 120m (dérogation possible)
    Distance horizontale du télépilote : 100m

  • Tout survol de personne extérieure au tournage est interdit, les participants doivent signer une attestation où figurent les risques et mesures d’urgences.

  • Une zone d’exclusion des tiers est donc mise en place autour du drone, à respecter au décollage et en vol (distance horizontale de 20 mètres minimum). En général on signale cette zone par de la banderole ou des barrières pour bloquer tout accès sous la trajectoire du drone.

  • La zone de décollage, si elle fait partie du domaine publique doit nécessiter l’autorisation de la mairie et donc être en lien avec la police municipale.

  • Tout drone de plus de 2 kg doit être immatriculé et homologué, ils doivent posséder un parachute et un coupe circuit pour un vol en agglomération.

  • Tout vol proche d’une agglomération ou d’un regroupement de personne nécessite une déclaration en préfecture 5 jours ouvrables pleins avant le vol.

  • Un vol de nuit nécessite de déposer le dossier 30 jours à l’avance.

  • Des demandes liées à l’utilisation de l’espace aérien peuvent être nécessaires (proche aéroport, héliport, zone militaire, prison…) un protocole de sécurité est alors mis en place avec les gestionnaires, en général il suffit par la suite d’appeler la tour de contrôle avant le décollage du drone et après la fin du tournage pour prévenir de l’évolution du drone, même à une hauteur de 30 m.

  • Déblocage de No Fly Zone à l’avance, le constructeur DJI a noté des zones sensible sur la carte afin d’interdire le décollage de ses drones sur ces endroits, il est toutefois possible de les débloquer moyennant de nouvelles démarches à réaliser à l’avance. Il faut donc avant chaque tournage vérifier sur le site DJI pour ne pas avoir de surprises lorsque le drone refuse de décoller le jour même.

Seul le pilote de drone peut réaliser les démarches puisqu’il faut de nombreux documents liés à son activité et à son drone, il peut cependant passer par un prestataire externe en fournissant ces documents.

V. Conclusion

 En conclusion le drone est un formidable outil, rapide à mettre en place, relativement peu coûteux (quand il ne subit pas une chute) et plus simple à utiliser qu’un hélicoptère.

Beaucoup de réglementations et contraintes peuvent refroidir les productions, cependant rien n'est impossible, le tout est d’être informé à l’avance (l’objet de cet article) et d’effectuer les préparatifs adéquats : la trajectoire du drone sera ainsi sécurisé au sol par des banderoles et les productions ne demanderont plus un vol d’avion à 200m du sol en tir droit au-dessus de Paris. Il y a énormément de prises de vues aériennes possibles et suffisantes tout en respectant la loi.
Il est bon de préparer une liste de plans qui utilise toute les possibilités d’un drone (référez-vous aux 2 montages vidéos ci-dessus pour des idées de plan) pour ne pas seulement faire des plans larges à 100 m de haut, un plan abstrait, court avec des textures est tout à fait possible.

 Avec maintenant une qualité d’image embarquée sur les drones qui n’est plus un frein aux productions mais plutôt un allié pour retranscrire la volonté artistique de la réalisation.

Pour plus de prises de vues aériennes voici mon showreel:

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